NOIR 2005 2007
Aéroport. Première pensée. Il n’y a pas d’ailleurs. J’en suis persuadé, c’est juste une question de bon sens. Pour l’instant la seule chose qui me paraît importante est de poser mes bagages. Ensuite, peut-être commencerai-je à y réfléchir. J’ai emporté mon appareil, un carnet (bleu à spirales de 100 pages), un stylo (noir à pointe fine), un livre (les inconsolables de Christoph Déjean), quatre phrases (Rimbaud, Kérouac, Bavcar, Rilke), trois tee-shirts (blancs) et quelques choses. Je disais. Il n’y a pas d’ailleurs. Il n’y a que des rêves d’ailleurs. Où sous les bocages, s’évapore l’odeur du soir fêté. Où on se demande ce qui nous arrivera à nous, à nous tous, quand nous serons finalement jetés aux chiens de l’éternité. Ce rêve existe, vous me suivez, mais à l’état d’un cri pris au piège. Premier matin. Je regarde la plaine, les arbres, les êtres. Ici, la grâce baigne dans le plus grand dénuement. Je note. Grâce et dénuement, ces mots-là ne font pas de bruit. Rien d’autre ne compte, désormais, que la plaine, les arbres, les êtres. Leurs rires. Leur douceur. Leur infinie beauté. De long et beaux jours passent. Je suis maintenant un œil pourvu d’un corps. Quel est le lien qui unit une plaine, des arbres, des êtres ? Un vieil homme s’approche, il me dit : ce que nous attendons des questions que nous nous posons, c’est qu’elles remuent les montagnes. Tout à coup, j’ai l’impression d’errer, tel ce personnage d’un roman noir américain, en aveugle, et d’y voir comme un privilège. Je sors l’appareil. Comment s’y prendre ? Avec les enfants, par exemple. Comment se libérer de ces exotismes qui sont l’expression d’une forme de racisme, de séparation ? Je regarde l’enfant qui me sourit. Ou le contraire. Il faut se décider vite. Je lève l’appareil. Le moment idéal est une légende. Je note. Nous sommes tous d’ici, encore et encore, depuis toujours et pour toujours. Nous sommes tous d’Afrique. Mais ça, on le taira. Pourquoi ? Parce que là-bas, tout le monde semble le savoir sans le croire. L’exil. Demain, je pars. Je dois rentrer à la maison. Tout est là pourtant. La plaine, les arbres, les êtres. La lune parfois a portée de la main. Voici le premier pressentiment de l’éternité : avoir du temps pour l’amour. J’adore cette phrase. Elle me rappelle l’Afrique. Je me dis : voilà, c’est ça. Avoir du temps pour l’amour. Machinalement, je pose les yeux sur la jeune femme qui m’apparaît dans le hall. Alain Bouvier, le 2 février 2007